Avant d’expliciter et développer ce titre énigmatique, citons deux textes essentiels et concordants :
- D’une part, l’article L. 3121-20 du Code du travail : « Au cours d’une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures » ;
- D’autre part, l’article 6 b de la Directive européenne du 4 novembre 2003 portant divers aménagements sur le temps de travail : « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n’excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires ».
Voilà qui est clair, appelant tout employeur à la vigilance. Ce qui va suivre en est l’illustration, mais va au-delà, confirmant une nouvelle position jurisprudentielle sur la notion de « préjudice nécessaire », au travers un arrêt de la Cour de cassation du 26 janvier 2022.
Les faits : Un chauffeur-livreur est embauché dans le cadre d’un CDD de neuf mois. L’employeur rompt la période d’essai pour résultats insuffisants. Le Conseil des Prud’hommes est alors appelé à se prononcer (entre autres) sur la demande de dommages et intérêts réclamée par le salarié, celui-ci ayant travaillé 50,45 heures sur une semaine, heures non contestées par l’employeur.
La question posée aux juges du fond était la suivante : l’existence d’un préjudice est-elle nécessaire pour que des dommages et intérêts soient versés à un salarié ayant dépassé la durée maximale du travail ?
La Cour d’appel d’Orléans avait répondu par l’affirmative, déboutant le salarié de sa demande de dommages et intérêts, considérant qu’il ne démontrait pas en quoi ce dépassement d’horaires lui avait causé un préjudice.
La Cour de cassation n’a pas suivi cette analyse, confirmant la jurisprudence de la Cour de justice européenne qui considère que le dépassement de la durée maximale du travail hebdomadaire constitue, en tant que tel, une violation de la disposition européenne citée plus haut, sans qu’il soit besoin de démontrer l’existence d’un préjudice spécifique : « le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire, en ce qu’il prive le travailleur d’un repos suffisant, lui cause, de ce seul fait, un préjudice dès lors qu’il est ainsi porté atteinte à sa sécurité et à sa santé ».
Pour revenir à notre cas d’espèce, le simple fait que le chauffeur-livreur ait travaillé 50,45 heures au cours d’une semaine, lui a donc ouvert droit à réparation.
Le lecteur, tout en comprenant les conséquences pécuniaires pour l’employeur, est en droit de s’interroger sur une condamnation à des dommages et intérêts, alors-même que le préjudice n’est pas prouvé.
Pour tout dire, avant 2016, le non-respect des dispositions du Code du travail à l’égard d’un salarié (tel le dépassement de la durée maximale du travail), était automatiquement indemnisé par les Conseils de prud’hommes. C’était la grande époque de la jurisprudence dite du « préjudice nécessaire » : aucune obligation de prouver le préjudice pour que le salarié soit indemnisé. Mais, par un arrêt du 13 avril 2016, la Cour de cassation revint sur sa jurisprudence, exigeant alors la preuve d’un préjudice…, avant de modifier à nouveau sa position, comme l’illustre cet arrêt de janvier 2022. Que l’on ne s’y trompe pas, il y a fort à parier que « le préjudice nécessaire » désormais prisé par la Cour de cassation s’étende à d’autres thèmes.